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Soins médicaux transfrontaliers : l’autorisation préalable pour une prise en charge n’est pas nécessaire en cas d’urgence absolue

Social - Protection sociale
09/10/2020
La personne assurée qui a reçu des soins programmés dans un État membre autre que celui de sa résidence, sans pour autant avoir sollicité une autorisation de l’institution compétente, conformément à l’article 20, paragraphe 1, du Règlement (CE) n° 883/2004, a droit au remboursement, dans les conditions prévues par ledit Règlement, des frais de ces soins sous conditions.
 
Les Faits
Un ressortissant hongrois ayant perdu la vision de l’œil gauche en 1987, se voit diagnostiquer un glaucome à l’œil gauche en 2015. À la suite des échecs des soins médicaux pratiqués en Hongrie, le requérant prend contact avec un médecin allemand pour un rendez-vous le 17 octobre 2016. Ce praticien lui a demandé de prolonger son séjour jusqu’au 18 octobre 2016 en vue d’une intervention ophtalmologique. L’opération a été un succès.
 
Les services administratifs hongrois ont rejeté la demande de remboursement des soins de santé transfrontaliers présentée par le requérant au motif qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation préalable pour la prise en charge de cette opération. Ces services appuient leur réponse sur le fondement des dispositions des Règlements (CE) n° 883/2004 et n° 987/2009 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.
 
Procédure
La juridiction hongroise de renvoi saisie se pose trois questions sur ce contentieux :
- selon la jurisprudence Elchinov (CJUE, 5 oct. 2010, aff. C‑173/09), les dispositions du « Règlement (CEE) n° 1408/71 s’opposent à une réglementation d’un État membre interprétée en ce sens qu’elle exclut, dans tous les cas, la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation préalable dans un autre État membre ». Or les dispositions de ce Règlement sont assez similaires à celles des Règlements (CE) n° 883/2004 et 987/2009.
 
- selon la juridiction de renvoi, il pourrait y avoir incompatibilité entre la règlementation en cause et les articles 8, paragraphe 1 et 9, paragraphe 3, de la Directive n° 2011/24/UE relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers. La réglementation hongroise pourrait constituer un frein injustifié à la libre prestation de services.
 
- enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur la qualification à apporter aux circonstances de cette affaire, les soins prodigués au requérant dans un autre État membre doivent-ils être considérés comme des « soins programmés » au sens de l’article 20, paragraphe 1 du Règlement (CE) n° 883/2004 ?
 
C’est dans ce contexte que la juridiction hongroise de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
 
L’article 20 du Règlement (CE) nº 883/2004 et/ou l’article 26 du Règlement (CE) nº 987/2009, doivent-ils être interprétés en ce sens que relèvent de la notion de « soins programmés », des soins médicaux reçus dans un État membre autre que celui de résidence de la personne assurée, à la seule décision de celle-ci, prise à la suite de l’inefficacité avérée de tous les soins qui lui ont été prodigués dans plusieurs établissements médicaux de son État membre de résidence ?
En cas de réponse affirmative, lesdites dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que la personne assurée peut demander le remboursement, par l’institution compétente, des frais qu’elle a exposés pour les soins programmés reçus pendant son séjour dans l’autre État membre, même si elle n’a pas sollicité au préalable une autorisation à cette fin auprès de ladite institution, tout au moins lorsque des circonstances particulières, tenant notamment à son état de santé et à l’évolution probable de sa maladie, sont susceptibles de justifier l’absence d’une telle autorisation et, par suite, de permettre le remboursement demandé ?
 
L’article 56 TFUE et l’article 8, paragraphe 1, de la Directive n° 2011/24/UE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui subordonne, dans tous les cas, le remboursement des coûts des soins médicaux dispensés à la personne assurée dans un autre État membre à une autorisation préalable, y compris lorsqu’il existe, en l’attente de la délivrance de cette autorisation, un risque réel de dégradation irréversible de l’état de santé de cette personne ?
 
 
Réponses de la CJUE
Soins programmés
La notion de « soins programmés » couvre les soins de santé qu’une personne assurée se fait dispenser dans un autre État membre que celui dans lequel elle est assurée ou réside et qui consistent en des prestations en nature visées à l’article 20, paragraphe 1, du Règlement nº 883/2004.
 
Aux termes de l’article 20 du Règlement (CE) n° 883/2004, un assuré qui se rend dans un autre État membre afin d’y recevoir des soins, doit solliciter au préalable l’autorisation de l’institution compétente. En outre précise cet article, « la personne assurée qui est autorisée par l’institution compétente à se rendre dans un autre État membre aux fins d’y recevoir le traitement adapté à son état bénéficie des prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour, selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme si elle était assurée en vertu de cette législation. L’autorisation est accordée lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel réside l’intéressé et que ces soins ne peuvent lui être dispensés dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie ».
 
Selon la Cour de justice, il faut en déduire que si un assuré reçoit des soins médicaux dans un autre État membre, à sa seule demande car des soins équivalents avec un même degré d’efficacité ne sont pas disponibles dans son État de résidence, « dans un délai médicalement acceptable », ces soins doivent être reconnus comme des « soins programmés » au sens de l’article 20 du Règlement.
 
S’agissant des conditions de remboursements des soins, en l’absence d’une autorisation préalable, le Règlement d’application du Règlement (CE) n° 883/2004 ne prévoit rien, c’est donc au regard de l’article 56 TFUE relatif à la libre prestation de services que la Cour choisit de répondre.
 
Dans sa jurisprudence antérieure, la CJUE a reconnu à deux reprises qu’un assuré était en droit d’obtenir le remboursement de soins, même en l’absence d’une autorisation préalable :
- après un refus de l’institution compétente suite à une demande d’autorisation si le caractère non fondé d’un tel refus est ultérieurement établi, soit par l’institution compétente elle-même, soit par une décision juridictionnelle (CJCE, 12 juill. 2001, aff. C- 368/98) ;
- « une réglementation qui exclut, dans tous les cas, la prise en charge des soins hospitaliers dispensés dans un autre État membre sans autorisation, prive la personne assurée de la prise en charge de tels soins, quand bien même les conditions à cette fin seraient par ailleurs réunies. Une telle réglementation, qui ne saurait être justifiée par des impératifs d’intérêt général et, en tout état de cause, ne satisfait pas à l’exigence de proportionnalité, constitue, par conséquent, une restriction injustifiée à la libre prestation de services » (CJUE, 5 oct. 2010, aff. C‑173/09).
 
En l’espèce, la Cour de justice relève que le requérant ne s’est pas retrouvé dans une situation l’empêchant d’introduire une demande d’autorisation. Néanmoins, l’examen effectué en Hongrie le 15 octobre 2016, « dont le résultat a confirmé l’urgence de l’intervention ophtalmologique que WO a effectivement subie en Allemagne le 18 octobre 2016, peut constituer une indication en ce sens que, même à supposer qu’il n’ait pas été empêché de présenter une demande d’autorisation préalable, il n’aurait pas pu attendre la décision de l’institution compétente sur cette demande ».
En conséquence, la CJUE déclare qu’un assuré qui a reçu des soins programmés dans un État membre autre que celui de sa résidence, sans avoir sollicité une autorisation préalable de l’institution compétente a droit au remboursement, dans les conditions prévues par ledit Règlement, des frais de ces soins, si :
- «  entre la date de la prise de rendez-vous, aux fins d’un examen médical et d’un éventuel traitement dans un autre État membre, et la date à laquelle les soins concernés lui ont été dispensés dans cet État membre, où elle a dû se déplacer, cette personne se trouvait, pour des raisons liées notamment à son état de santé ou à la nécessité d’y recevoir ces soins en urgence, dans une situation l’empêchant de solliciter auprès de l’institution compétente une telle autorisation ou d’attendre la décision de cette institution sur une telle demande ».
- les autres conditions pour la prise en charge des prestations en nature, au titre de l’article 20, paragraphe 2, seconde phrase, du Règlement (CE) n° 883/2004, sont, par ailleurs, satisfaites. C’est la juridiction hongroise qui s’en assurera.

La règlementation litigieuse
Il convient de déterminer si la règlementation hongroise qui subordonne, le remboursement des coûts des soins médicaux dispensés à la personne assurée dans un autre État membre à une autorisation préalable, même dans l’hypothèse d’un risque pour l’état de santé de l’assuré est contraire au droit de l’Union.
 
Dans sa jurisprudence antérieure, la CJUE a déjà jugé qu’une telle réglementation prive la personne assurée de soins nécessaires à son état de santé (Elchinov). En outre, la Cour souligne que la « prise en charge de tels soins n’est pas de nature à compromettre la réalisation des objectifs de planification hospitalière ni à porter gravement atteinte à l’équilibre financier du système de sécurité sociale, une telle prise en charge n’affectant pas le maintien d’un service hospitalier équilibré et accessible à tous non plus que celui d’une capacité de soins et d’une compétence médicale sur le territoire national » (arrêt Elchinov).

La jurisprudence de la Cour portant sur l’article 22 du Règlement n° 1408/71/CEE en matière de soins hospitaliers dans un autre État membre et l’article 49 CE, est également applicable au cas d’espèce avec l’article 56 TFUE et la Directive n° 2011/24/UE relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers. C’est donc le même raisonnement que la Haute juridiction européenne va utiliser ici. La règlementation en cause qui exclut, en l’absence d’autorisation préalable, le remboursement, dans les limites de la couverture garantie par le régime d’assurance maladie de l’État d’affiliation, des frais de tels soins qui lui ont été prodigués dans un autre État membre, est contraire à l’article 56 TFUE ainsi qu’à la Directive n° 2011/24/UE.

En revanche, la règlementation en cause qui prévoit un délai de 31 jours pour délivrer une autorisation préalable pour la prise en charge d’un soin transfrontalier et de 23 jours pour la refuser, tout en permettant à l’institution compétente de tenir compte des circonstances particulières et de l’urgence du cas en cause n’est pas contraire aux dispositions de la Directive n° 2011/24/UE.
 
Source : Actualités du droit