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Précisions relatives au refus du droit à déduction lorsque l'assujetti savait ou aurait dû savoir qu'il participait à une fraude à la TVA

Civil - Fiscalité des particuliers
30/10/2019

Il incombe à l’administration fiscale d’établir les éléments objectifs permettant de conclure que l’assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude ;

►Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu’il s’agisse de l’existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l’assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 14 octobre 2019 (CE 3° et 8° ch.-r., 14 octobre 2019, n° 421925, mentionné aux tables du recueil Lebon).

En l’espèce, à l’issue d’une vérification de comptabilité d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et spécialisée dans le courtage des émissions de gaz à effet de serre, l’administration fiscale a remis en cause son droit à déduction de la TVA figurant sur les factures émises par seize sociétés et qui avaient selon elle, commis des fraudes. Le tribunal administratif de Paris (TA de Paris, 28 novembre 2014, n° 1310609) rejette la demande de la société tendant à la décharge des rappels de TVA ainsi que des intérêts de retard et pénalités pour manquement délibéré dont ces rappels ont été assortis. La cour administrative d’appel de Paris confirme ce jugement (CAA de Paris, 3 mai 2018, n° 15PA00456).

Aux termes de la Directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance par la Directive 2006/112/CEE du 28 novembre 2006, le bénéfice du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations.

Si les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d'eux pour s'assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ou d'autres fraudes, ne doivent pas perdre leur droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, l'assujetti devient complice de la fraude (CJCE, 6 juillet 2006, affs. C-439/04 et C-440/04). Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales (CJUE, 21 juin 2012, aff. C-80/11).

Il s’ensuit que lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations.

Pour juger, d'une part, que les seize sociétés, auprès desquelles la société requérante a procédé aux acquisitions de quotas d'émissions de gaz à effet de serre au titre desquelles elle a bénéficié des droits à déduction en litige, s'étaient livrées à une fraude à la taxe à la valeur ajoutée, et d'autre part, que la société requérante disposait d'indices pouvant la conduire à soupçonner l'existence de cette fraude, la cour s'est bornée à se référer aux mentions de la proposition de rectification. En écartant l'argumentation de la société requérante contestant l'exactitude de ces mentions au seul motif que ces dernières faisaient foi jusqu'à preuve du contraire dès lors qu'elles avaient été établies par un agent assermenté et en ajoutant, au surplus, en ce qui concerne l'existence de la fraude, que seule la société requérante était susceptible d'établir que les seize sociétés précitées avaient déclaré et payé la taxe qu'elles lui avaient facturée, la cour, qui n'a, au demeurant, pas analysé la situation de chacune des seize sociétés séparément, a méconnu les règles relatives à la charge de la preuve.

 

Marie-Claire Sgarra

Source : Actualités du droit