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Le jugement de Salomon de la Cour de cassation

Civil - Personnes et famille/patrimoine
24/09/2019
Pour la première fois, du moins aussi clairement, la Cour de cassation énonce que choisir la filiation sociale – fût-elle établie en fraude au droit de l’adoption –, plutôt que la vérité biologique, ne préjudicie pas au droit de l’enfant à connaître la vérité sur ses origines.
C’est l’histoire d’un garçonnet, âgé aujourd’hui de 6 ans. Sa conception résulte d’une insémination artisanale pratiquée en exécution d’un contrat de gestation pour autrui, conclu par une femme avec un couple d’hommes. L’un d’eux – celui qui n’avait pas fourni le sperme – a reconnu l’enfant pendant la grossesse. Cependant, la contractante, après avoir indiqué au couple que l’enfant était décédé à la naissance, l’a confié aussitôt né à M. et Mme Y, contre rémunération et sans rien raconter des circonstances de sa conception. M. Y a reconnu l’enfant.
 
Sur la plainte du fournisseur du sperme, M. X, le tribunal correctionnel a renvoyé les protagonistes de l’affaire dos à dos. Il a condamné la gestatrice (également fournisseuse de l’ovocyte) à un an d'emprisonnement avec sursis pour escroquerie et fraude aux prestations sociales. On ignore comment l’escroquerie a été caractérisée, alors que le couple d’hommes savait fort bien que le contrat signé était nul et qu’ils ne pourraient en réclamer l’exécution. Le tribunal a également condamné ces deux hommes, ainsi que le mari et l’épouse ayant recueilli l’enfant, chacun, à 2 000 euros d'amende avec sursis, pour provocation à l'abandon d'enfant né ou à naître.
 
Le juge civil était alors saisi d’une demande bien plus embarrassante de M. X. en contestation de la reconnaissance de paternité de M. Y et en établissement de sa propre paternité. Le tribunal a fait droit à ses demandes et fixé la résidence de l’enfant au domicile de M. X, à l’issue d’un délai de neuf mois... La cour d’appel les ayant au contraire rejetées, la Cour de cassation devait trancher entre deux hommes revendiquant leur paternité, l’un se prévalant de la vérité biologique, l’autre de la réalité sociale et affective, mais tous deux répréhensibles, tant sur le plan de la morale que du droit.
 
Or, à la surprise de certains, la Cour de cassation, en l’absence d’un texte régissant cette situation, concentrant son regard sur l’enfant, affirme qu’au regard de son vécu, la réalité biologique n’est pas suffisante pour dire que M. X est son père et qu’il n’est pas dans son intérêt supérieur de remettre en cause sa filiation sociale, constante depuis sa naissance. Pour la première fois, du moins aussi clairement, la Cour énonce que choisir cette filiation – fût-elle établie en fraude au droit de l’adoption –, plutôt que la vérité biologique, ne préjudicie pas au droit de l’enfant à connaître la vérité sur ses origines.... Au visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit de toute personne au respect de la vie familiale et privée, la Cour de cassation semble nous dire que cet enfant, dont la conception et la naissance ont été si compliquées, et génératrices de conflits insolubles entre adultes, a droit désormais à une enfance linéaire, sans rupture affective et sans avoir à subir les conséquences des actes irresponsables de ces derniers, qui ont émaillé son histoire précoce.
 
La Cour rejoint ainsi le roi Salomon, qui, ayant à trancher entre deux mères, n’a pas recherché laquelle avait donné naissance à l’enfant, mais celle qui l’aimait suffisamment pour renoncer à lui pourvu qu’il vive... On peut donc dire que c’était déjà l’intérêt de l’enfant qui le guidait, mais personne ne saura jamais si la femme qui a sauvé l’enfant et en a obtenu la garde était sa mère de naissance ou sa mère nourricière...
Source : Actualités du droit