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La CICAP ? Une solution française sur mesure pour le règlement des litiges du commerce international !

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Civil - Procédure civile et voies d'exécution
18/04/2018
La remise des trophées aux étudiants lauréats du Prix Freshfields 2018 a été l’occasion pour le Club des juristes d’organiser une conférence-débat sur l’attractivité de la place de Paris et les systèmes de règlement des différends. Au cœur des discussions, le fonctionnement et les atouts des chambres spécialisées du tribunal de commerce et de la cour d’appel de Paris. Parce que la justice française ne se résume pas aux contestations des réformes en cours, voici ce qu’il fallait retenir du charme des chambres internationales des juridictions parisiennes.
Fortement préconisée au mois de mai 2017, par le Haut Comité juridique de la Place financière de Paris (voir ici le Rapport du Président Canivet), la mise en place, à Paris, de chambres spécialisées pour le traitement du contentieux international des affaires est désormais pleinement effective. Ceci, depuis la signature le 7 février 2018 des protocoles (disponibles ici en français et en anglais) permettant l’installation du second degré de juridiction en la matière, grâce à la création de la chambre internationale de la cour d’appel de Paris, la CICAP (voir ici).
 

I. Et si l’attractivité de la France reposait (aussi) sur celle de ses juridictions ?


Jusqu’à présent, la prédominance de la Commercial Court de Londres était incontestable pour les opérateurs européens et internationaux. Mais en raison du Brexit et face à la multitude de litiges que l’on imagine déjà survenir et la vague de décisions judiciaires applicables sur le territoire de l’Union européenne, la question s’est posée de l’opportunité de faciliter dès à présent les démarches liées, notamment, à leur exécution. En effet, les décisions britanniques ne bénéficieront plus de la reconnaissance mutuelle, ni des facilités prévues aux fins d’exécution par le Règlement dit « Bruxelles I bis » concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. L’exequatur sera donc nécessaire et engendrera inévitablement un coût et un délai supplémentaires. Et c’est dans cette brèche que les promoteurs de la Place financière de Paris entendent s’engouffrer : proposer, en France, une procédure exécutable sur le territoire de l’Union européenne, plus rapide et moins onéreuse qu’au Royaume-Uni.

La création de la CICAP vient compléter le dispositif dédié aux litiges commerciaux internationaux, né en 1995 lors de la mise en place de la chambre de droit international du tribunal de commerce de Paris ; elle devrait en outre redonner toute sa dynamique au pôle économique de la cour d’appel de Paris. Leurs champs de compétence sont identiques et concernent les litiges mettant en jeu les intérêts du commerce international, notamment en matière de transports, de concurrence et de rupture des relations commerciales. Les listes des domaines visés par les protocoles ne sont pas exhaustives et les sentences arbitrales internationales auront par exemple aussi vocation à y être réexaminées.

Malgré l’importance de l’anglais et de la common law dans les relations commerciales internationales, la France est désormais en capacité de concurrencer les juridictions londoniennes, vers lesquelles les regards se portent de prime abord. En première instance, le tribunal de commerce de Paris, présidé par M. Jean Messinesi, peut se louer d’une solide expérience. La chambre internationale compte aujourd’hui dix juges, tous anglophones. Par une ordonnance complétive du 4 avril 2018, Mme Chantal Arens, Première présidente de la cour d’appel de Paris a affecté les contentieux relatifs aux contrats du commerce international à la chambre « 5-16 » et a désigné M. David Peyron et Mme Fabienne Schaller aux fonctions de conseillers chargés de la mise en état. Un nouveau conseiller devrait être désigné en septembre prochain pour rejoindre l’équipe de magistrats en place. Les juges désignés ont une solide connaissance du droit anglais, acquise notamment au cours de leurs expériences professionnelles au sein des secteurs industriels. Ces praticiens maîtrisent donc aussi bien la langue anglaise, que le maniement de la common law et des droits français et européen.

La difficulté majeure, pour les professionnels du droit en France, sera de convaincre un cocontractant de choisir les juridictions parisiennes, en signant une clause attributive de compétence. La réflexion se poursuit entre la cour d’appel et le Barreau de Paris quant au modèle de clause qui sera proposé, pour inclure spécifiquement le choix de la CICAP. Et même si l’orientation des dossiers devrait naturellement se faire au profit des chambres internationales, avec ou sans mention explicite de la CICAP dans une clause attributive, une telle précision assurerait au cocontractant étranger une résolution du litige dans les conditions les plus favorables.
 

II. Et si le CPC permettait d’appliquer la common law ?


C’est principalement d’un point de vue processuel que se pose la problématique de l’attractivité des juridictions parisiennes, avec, sous-jacent, le constat de la nécessité de rassurer les opérateurs économiques sur le fonctionnement de la justice française. Comment les convaincre de la souplesse et de la sécurité juridique de notre système juridictionnel face à l’attrait des procédures de common law ? Plusieurs leviers d’attractivité, autant d’éléments entrant en ligne de compte dans l’évaluation de la qualité de la Justice, ont été soulignés par les différents intervenants de la conférence-débat du 12 avril dernier. Deux atouts majeurs des protocoles sont particulièrement mis en avant : la large place laissée à l’utilisation de la langue anglaise et à la preuve testimoniale. Mais que l’on se rassure, point de legal transplants ; la souplesse du Code de procédure civile permet, en l’état, de pourvoir aux attentes des opérateurs économiques !

L’usage de la langue anglaise est possible devant les chambres internationales : comme le soulignait Chantal Arens, il n’est pas utile, du moins pour l’instant, d’envisager de déroger aux impératifs constitutionnels de l’usage de la langue française (Const. 4 oct. 1958, art. 2), ni d’aménager les dispositions, toujours en vigueur, de l’article 111 de l’ordonnance dite « de Villers-Cotterêt » du 25 août 1539. En effet, et conformément aux protocoles applicables aux instances introduites à compter du 1er mars 2018, les actes de la procédure (assignations, significations…) doivent impérativement être rédigés en français. En revanche, les pièces (rapports d’expertise, témoignages…) rédigées en langue anglaise peuvent être versées aux débats sans traduction. En cas de contestation entre les parties sur la traduction des pièces proposées, le juge peut ordonner une traduction jurée de celles-ci. Les frais de traduction devront alors être avancés par la partie désignée par le juge.
Les débats ont vocation à se dérouler en anglais, mais pourront aussi avoir lieu en français. Dans ce cas et pour le confort de l’une des parties qui en avancera les frais, une traduction simultanée pourra être réalisée par un traducteur désigné par le juge. En revanche, les notes d’audience et les procès-verbaux sont établis en français par le greffe. Les plaidoiries se tiendront en principe en français, mais les conseils des parties, lorsqu’ils sont étrangers et habilités à plaider, sont autorisés à s’exprimer en anglais s’ils le souhaitent. Il en est de même des parties qui comparaissent devant le juge, des témoins et des éventuels techniciens, y compris les experts. Le jugement ou l’arrêt de la chambre internationale sera quant à lui rédigé en français et accompagné d’une traduction jurée en anglais, dont le coût devrait être inclus dans les dépens.

Parce que la loyauté des échanges et la qualité de la relation entre le juge et les parties est un aussi gage de qualité des systèmes juridictionnels, les protocoles relatifs aux chambres internationales fixent les règles de l’administration judiciaire de la preuve. Qu’il s’agisse de la comparution personnelle des parties, des attestations des tiers et des auditions des témoins et des techniciens, le droit commun du Code de procédure civile a vocation à s’appliquer, y compris en ce qui concerne l’avance éventuelle des frais. Une dérogation est néanmoins à souligner en ce qui concerne les attestations des tiers, puisqu’elles pourront être dactylographiées et non manuscrites comme le prévoit l’article 202 dudit code et les parties ne pourront se prévaloir d’aucun vice de forme à ce titre. Enfin et peut-être surtout, la France dispose d’un atout en matière d’administration de la preuve. Au contraire de la common law qui prévoit une procédure lourde, dite de discovery, par laquelle les parties doivent soumettre toutes les preuves en leur possession, qu’elles soient en leur faveur ou non, le Code de procédure civile, lui, les autorise à ne fournir que celles utiles à la démonstration du bien-fondé de leur demande. Mais elles ont aussi la possibilité de solliciter le juge pour qu’il ordonne la production forcée des documents ou « catégories de documents précisément identifiés » détenus par une partie. Et Mme Stéphanie Fougou, directrice juridique et présidente de l’Association française des juristes d’entreprise, de rappeler ici les enjeux liés à la protection du secret des affaires, particulièrement en ce qui concerne la production forcée de documents échangés avec les juristes d’entreprise.

Comme le soulignait Mme la Première présidente de la cour d’appel de Paris, toutes les possibilités du Code de procédure civile ne sont pas exploitées aujourd’hui, essentiellement en raison de la quantité de dossiers à traiter dans le cadre des contentieux nationaux. Or, ici, avec un nombre réduit d’affaires en cours - une dizaine aujourd’hui - et une identification proactive des dossiers susceptibles de relever de la compétence de la cour, la célérité de la justice sera, sans nul doute, au rendez-vous. Ceci, grâce, aussi, aux calendriers impératifs de procédure, qui permettent de fixer à l’avance les dates de comparution des parties, de remise des conclusions et pièces, des auditions des témoins et des experts, ainsi que celles des dernières plaidoiries. En pratique, c’est un délai maximum de 6 mois qui est escompté en moyenne pour la fixation des dates des délibérés. Un gain de temps pourra également résulter d’une mise en état conventionnelle du dossier, par le biais d’une procédure participative. Toujours en ce qui concerne l’optimisation du temps judiciaire, on signalera enfin que devant la cour d’appel de Paris, les audiences de mise en état commenceront début mai 2018. Une seconde ordonnance de la Première présidence devrait être signée prochainement en ce qui concerne les audiences de jugement, qui, elles, devraient avoir lieu à compter de septembre 2018.

Enfin, en ce qui concerne enfin la lisibilité des décisions, on rappellera que, au fond, les chambres internationales de première instance et d’appel sont amenées à mettre en œuvre le droit français ou toute autre règle de droit étranger applicable à la cause. Mais se pose alors la question de la sécurité juridique pouvant, en termes de prévisibilité de la jurisprudence, être offertes aux justiciables, au sein d’un système qui n’est, historiquement, pas bâti sur la force du binding precedent. Une réflexion est en cours au sein de la cour d’appel de Paris, en parallèle de celles engagées sur la motivation des décisions de justice dans le cadre des réformes en cours, pour accompagner la rédaction des jugements et arrêts selon une méthode plus proche de la démarche anglo-saxonne, réputée davantage transparente et compréhensible. Enfin, pour ce qui concerne la visibilité de la jurisprudence, la Première présidence de la cour d’appel s’engage à assurer la diffusion des jugements et arrêts, rédigés, rappelons-le, à la fois en français et en anglais. Chantal Arens l’assure, « la juridiction est prête à répondre aux attentes des opérateurs économiques ».

Chers praticiens, à vos clauses attributives de compétence !


 
La conférence organisée le 12 avril 2018 au Palais de la découverte, était animée par M. Nicolas Molfessis, Professeur, Université Panthéon-Assas, Secrétaire général du Club des Juristes, avec les interventions de Mme Chantal Arens, Première présidente de la cour d’appel de Paris, M. Naïl Bouricha, Conseiller chargé de la prospective et de l'attractivité du droit, Cabinet de la garde des Sceaux, M. Guy Canivet, Président du Haut comité juridique de la Place financière de Paris et de M. Jean Messinesi, Président du tribunal de commerce de Paris.
Ont participé au débat, Mme Hélène Bourbouloux, Fondatrice et Associée gérante de FHB (administrateurs judiciaires), Mme Stéphanie Fougou, Directrice juridique, présidente de l’AFJE et Me Hervé Pisani, Avocat à la Cour, Freshfields Bruckhaus Deringer
Source : Actualités du droit