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Responsabilité du transporteur : appréciation du fait du tiers présentant les caractéristiques de la force majeure

Civil - Responsabilité
14/02/2018
La Haute juridiction s’est prononcée à deux reprises sur l’exonération de la responsabilité de transporteurs à raison du fait d’un tiers. Le premier arrêt retient la responsabilité de la RATP, à raison des possibilités dont elle disposait pour prévenir le comportement du tiers. Le second exonère totalement la SNCF de sa responsabilité, dans la mesure où cette dernière n’était pas en mesure d’anticiper le comportement du tiers.
Dans le premier arrêt (Cass. 2e civ., 8 févr. 2018, n° 16-26.198, P+B+I), le tiers avait poussé la victime sur les rails alors que le train redémarrait. La Haute juridiction affirme que « le comportement du tiers qui pousse un usager contre une rame alors que celle-ci redémarre n’est nullement irrésistible pour la RATP, qui dispose de moyens modernes adaptés permettant de prévenir ce type d’accident, de sorte que le fait du tiers ne présentait pas les caractéristiques de la force majeure exonératoire de la responsabilité pesant sur elle ».

Dans le second arrêt (Cass. 2e civ., 8 févr. 2018, n° 17-10.516, P+B+I), le tiers, souffrant de schizophrénie, avait ceinturé et entrainé la victime sur les rails, et l’enquête avait conclu à un homicide volontaire et un suicide. Le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme a indemnisé les ayants droit de la victime et s’est par la suite retourné contre la SNCF. Pour exonérer cette dernière de toute responsabilité, la Cour de cassation relève que « aucune altercation n’avait opposé les deux hommes qui ne se connaissaient pas, qu’un laps de temps très court s’était écoulé entre le début de l’agression et la collision avec le train (…) et qu’aucune mesure de surveillance ni aucune installation n’aurait permis de prévenir ou d’empêcher une telle agression, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations ce qui, compte tenu de l’ampleur des travaux et du fait que la SNCF n’était pas propriétaire des quais, ne pouvait être exigé de celle-ci à ce jour ». Elle en déduit que c’est à bon droit que la cour d’appel a conclu à la caractérisation d’un cas de force majeure. La solution sur ce second point semble mettre un point final à la rigueur d’appréciation de la force majeure exonératoire de la responsabilité du transporteur (par exemple, Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n° 05-10.783, Bull. civ. I, n° 511 ; pour une appréciation de la faute de la victime non constitutive de la force majeure : Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307, Bull. civ. ch. mixte, n° 3), courant qui avait été amorcé en 2011 (Cass. 1re civ., 23 juin 2011, n° 10-15.811, Bull. civ. I, n° 123).

En 2011, toutefois, la force majeure avait été appréciée eu égard au comportement du tiers ; or dans les deux espèces, la Haute juridiction prend également en considération les contraintes et possibilités matérielles des transporteurs afin de prévenir les risques.
Aussi, l’élément déterminant de la caractérisation de la force majeure semble être la possibilité matérielle pour les transporteurs de prévenir le comportement du tiers. Ces arrêts marquent une césure avec l’appréciation traditionnelle de la force majeure dont les caractéristiques sont appréciées intrinsèquement au comportement du tiers, imprévisible, irrésistible, voire extérieur.

Il semblerait que la Haute juridiction ait apprécié la force majeure à l’aune de la définition donnée par l’ordonnance portant réforme du droit des obligations (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, JO 11 févr. ; C. civ., art. 1218 : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur »), ou encore en écho au projet de réforme présenté par la Chancellerie, le 13 mars 2017. Pour mémoire, l’article 1253 du projet prévoit que « en matière extracontractuelle, la force majeure est l’évènement échappant au contrôle du défendeur ou de la personne dont il doit répondre, et dont ceux-ci ne pouvaient éviter ni la réalisation ni les conséquences par des mesures appropriées ».
En effet, le projet de réforme du droit de la responsabilité reprend en substance l’appréciation de la force majeure en matière contractuelle formulée par l’ordonnance portant réforme du droit des obligations.
Quoi qu’il en soit, cette homogénéisation est souhaitable, compte tenu des deux fondements susceptibles d’être invoqués pour engager la responsabilité des transporteurs (C. civ., art. 1242 et 1231-1).
Source : Actualités du droit