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Distribution sélective : la vente hors réseau, via une plateforme internet, ne constitue pas un trouble manifestement illicite

Affaires - Droit économique
25/04/2016
Dans un arrêt du 2 février 2016, la cour d’appel de Paris juge que la commercialisation de produits par le biais d’une plateforme internet en violation des conditions des conditions de fonctionnement du réseau de distribution sélective ne constitue pas un trouble manifestement illicite au sens de l’article 873 du code de procédure civile.
Quels étaient les faits de l’espèce ? La société eNova Santé, propriétaire de la plateforme internet « 1001pharmacie », propose sur cette plateforme des produits de la marque Caudalie, vendus en principe exclusivement par des distributeurs agréés soit en point de vente (pharmacies ou parapharmacies), soit par internet (mais à la condition de disposer de leur propre site internet). Considérant que la commercialisation de ses produits sur la plateforme 1001pharmacie constitue une violation de son réseau de distribution sélective, Caudalie assigne eNova Santé en référé. Le juge des référés fait pour partie droit à ses demandes et ordonne à eNova Santé d’arrêter la commercialisation des produits Caudalie.

La cour constate d’abord qu’« en ne permettant que la vente en ligne par le site propre du pharmacien distributeur des produits Caudalie, les contrats de distribution sélective de la société Caudalie interdisent par principe à celui-ci le recours à la vente en ligne par le biais de plate-forme – ou places de marché – en ligne ».

Elle s’attache ensuite à déterminer si en l’état du droit applicable, une telle interdiction est manifestement – ou à l’évidence – licite. Or, note-t-elle, il n’est pas certain qu’aujourd’hui, une telle interdiction puisse ne pas être considérée comme susceptible de constituer une restriction de concurrence : « il résulte des deux décisions de l'Autorité de la concurrence des 23 juillet 2014 et 24 juin 2015, concernant le réseau de distribution sélective Samsung interdisant la vente en ligne par le biais de plates-formes internet, du communiqué de presse de cette Autorité du 18 novembre 2015 dans une affaire Adidas similaire, de la position récemment prise par l'autorité de la concurrence allemande en faveur du caractère anticoncurrentiel d'une pratique comparable dans les contrats de distribution sélective Asics et Adidas, enfin de la consultation du professeur […] par la société eNOVA en mai 2015, un faisceau d'indices sérieux et concordants tendant à établir avec l'évidence requise en référé que cette interdiction de principe du recours pour les distributeurs des produits Caudalie, pour l'essentiel pharmaciens d'officine, à une plate-forme en ligne quelles qu'en soient les caractéristiques est susceptible de constituer, sauf justification objective, une restriction de concurrence caractérisée exclue du bénéfice de l'exemption communautaire individuelle visée à l'article L. 442-6, I, 6° susvisé qui fonde les demandes litigieuses ».

Par suite, « cette éventualité prive donc le trouble allégué par Caudalie, résultant de la violation de son réseau de distribution sélective via la plate-forme [1001pharmacie] proposée aux pharmaciens par la société eNOVA, de tout caractère manifestement illicite, sauf justification objective au regard du droit de la concurrence, tel qu'il résulte de ces éléments factuels et juridiques nouveaux, à tout le moins postérieurs à 2009 ».

Et de conclure que la société Caudalie ne dispose pas « d’une justification objective rendant manifestement licite son réseau de distribution sélective par internet interdisant ce canal de vente et, partant, manifestement illicite le trouble qui résulterait de la violation de celui-ci par les pharmaciens, fussent-ils agrées, vendant ses produits via la plate-forme 1001pharmacie ».

Une précision en guise de conclusion : l’arrêt de la cour d’appel de Paris est rendu en matière de référé sur le fondement de l’article 873 précité. Aussi, l’enjeu du débat portait-il sur la question de savoir si le réseau de distribution sélective mis en place par Caudalie était « manifestement licite » afin de décider ou non de l’existence d’un « trouble manifestement illicite ». Pour autant, et même si cet arrêt envoie un signal fort, la cour d’appel de Paris ne se prononce pas quant au fond. La suite avec la décision de l’Autorité de la concurrence saisie en décembre 2015 par eNova Santé ?
Source : Actualités du droit