Retour aux articles

Semaine sociale Lamy, Supplément au n° 1746 : Les gardiens des droits sociaux en Europe

Social - Informations professionnelles
30/11/2016
Sous la direction d’Alain Supiot, Professeur au Collège de France, la Semaine sociale Lamy publie un supplément sur « Les gardiens des droits sociaux en Europe », ou comment face à la défaillance de la CJUE, les Cours constitutionnelles de l’Allemagne, du Portugal, de l’Italie, le Conseil d’État grec, la Cour européenne des droits de l’Homme, le Comité européen des droits sociaux et l’OIT résistent aux atteintes portées aux droits sociaux fondamentaux.
C’est une des leçons du Brexit : les institutions européennes souffrent d’une profonde crise de légitimité. Dans le contexte de la crise financière de 2008, la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI) s’est principalement employée à sauver les banques et à imposer aux pays concernés l’adoption de réformes structurelles déréglementant le droit du travail et démantelant les services publics. Ce fut le cas en Grèce, au Portugal, en Italie et en Espagne.

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), gardienne des traités est censée faire respecter les droits fondamentaux de l’Union européenne. Or depuis les fameux arrêts Viking et Laval de 2007, son choix est clair ; elle entend faire prévaloir les libertés économiques sur les droits sociaux et les libertés collectives.

Puisque les gardiens des droits sociaux fondamentaux sont défaillants, existe-t-il d’autres gardiens ? « Qui garde ces gardiens ? », s’est interrogé Alain Supiot, lors d’un séminaire qui a réuni au Collège de France le 6 février 2015 des intervenants prestigieux, dont plusieurs juges constitutionnels de divers pays européens. Ce sont les Actes de ce séminaire que la Semaine sociale Lamy publie.

Selon Alain Supiot, « cette question n’est pas sans réponse » ; « les atteintes portées aux droits sociaux fondamentaux et à la démocratie ont été condamnées par diverses instances juridiques nationales, européennes ou internationales. » Lesquelles ? C’est le sujet de ce supplément.

GUERRE DES JUGES
Les juges constitutionnels sont en première ligne. L’Allemagne a rendu le 30 juin 2009 une décision remarquable à propos de la ratification du traité de Lisbonne. Elle y affirme notamment qu’il appartient au juge constitutionnel de faire obstacle à l’application en Allemagne de dispositions européennes incompatibles avec la Constitution. Sa vigilance ne s'est pas relâchée depuis, comme en témoignent les conditions dont elle vient d'assortir la signature par l'Allemagne de l'Accord économique et commercial global entre l'UE et la Canada (CETA), et notamment l'interdiction de mettre en oeuvre les dispositions de cet accord relatives à l'arbitrage privé ou au droit du travail. Le tribunal constitutionnel portugais a considéré que la régression des droits sociaux ne pouvait être effectuée à tout prix et a donc invalidé certaines des mesures d’austérité imposées par le gouvernement en application des directives de la Troïka (réduction des rémunérations des fonctionnaires et des pensions). En Italie, la Cour constitutionnelle a invalidé des mesures imposant la réduction des salaires et des pensions de retraite pour certaines catégories de fonctionnaires. En Grèce, le Conseil d’État a porté un coup d’arrêt à la décision de privatisation de l’eau en la déclarant inconstitutionnelle.
En revanche, en Espagne, la Cour constitutionnelle a donné son aval aux mesures d’austérité. La résistance aux remises en cause des droits sociaux s’est également organisée au niveau de la Cour européenne des droits de l’Homme dont le siège est à Strasbourg et qui statue sur les requêtes alléguant des violations des droits civils et politiques. Idem pour le moins connu Comité européen des droits sociaux, dont le rôle est d’examiner le respect de la Charte sociale européenne par les États parties.

L’Organisation internationale du travail (OIT) a elle aussi critiqué la violation des droits sociaux par l’Union européenne. Saisie par l’association des pilotes de ligne britanniques, la commission des experts de l’OIT a indiqué que « la menace omniprésente d’une action en dommages-intérêts comportant le risque d’acculer le syndicat à la faillite, éventualité aujourd’hui fort plausible, compte tenu de la jurisprudence Viking et Laval, crée une situation dans laquelle l’exercice des droits établis par la convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical devient impossible ».

Avec les contributions de : Emilios Christodoulidis, Professeur à l’Université de Glasgow ; Dieter Grimm, Professeur à l’Université Humboldt de Berlin, ancien Membre du Bundesverfassungsgericht ; Ana Maria Guerra Martins, Professeur à la faculté de droit de l’Université de Lisbonne, ancienne Juge à la Cour constitutionnelle portugaise ; Vital Moreira, Professeur à l’Université de Coimbra, ancien Juge à la Cour constitutionnelle portugaise ; Carmen Salcedo Beltrán, Professeur au sein du département de Droit du travail et de la Sécurité sociale, Université de Valence (Espagne) et Coordinatrice de la section espagnole du Réseau académique Européen sur la Charte sociale et les Droits sociaux ; Fernando Valdes Dal-Ré, Membre de la Cour constitutionnelle espagnole ; Luca d’Ambrosio, Docteur en droit des Universités Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) et Naples II, Chargé de recherche au Collège de France ; Francis Maupain, ancien Conseiller juridique de l'OIT ; Guido Raimondi, Président de la Cour européenne des droits de l’homme ; Petros Stangos, Professeur à la Faculté de droit de l’Université Aristote de Thessalonique, et vice-président (2015-2016) du Comité européen des droits sociaux, Conseil de l’Europe ; Pierre Rodière, Professeur émérite à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) ; Fernando Vasquez, Avocat au barreau de Porto et consultant en affaires européennes
Source : Actualités du droit